I Le racisme, phénomène inscrit dans les moeurs et la littérature

 

Dès l’Antiquité, les classes sociales, qui définissaient les individus comme libres ou esclaves, reflètent les inégalités entre les hommes ; les Romains par exemple réduisaient à la condition d’esclave les étrangers constitués prisonniers de guerre. Par la suite, au Moyen Age, on assiste à la persécution des juifs, condamnés parce qu’ils constituaient une « race » à part, et ne respectaient pas les règles de la religion chrétienne ; périodiquement expulsés par les pays européens, les juifs voient leurs biens confisqués, et subissent nombre de déshonneurs et supplices. De même, à partir du XVe siècle, lors de l’exploration du continent américain, les Européens découvrent avec stupeur des êtres si différents d’eux qu’ils se posent la question de savoir si ces sauvages d’Amérique sont des hommes. En effet, ces derniers vivent nus, au milieu de la nature, et ne connaissent aucun des usages et des règles de la société européenne. Certains écrivains tels que Jean-jacques Rousseau s’enthousiasment devant tant de naturel et alimentent ainsi le mythe du bon sauvage, qui répand l’image d’hommes profondément bons, en harmonie avec la nature. Comme les autres philosophes des Lumières, Rousseau appartient à une génération qui dénonce les inégalités entre les hommes et pose les premiers jalons des droits de l’homme. Cette prise de conscience apparaît nettement dans De l’esprit des lois (1748) de Montesquieu, où il parodie un plaidoyer en faveur de l’esclavage. Ces considérations ne suffiront pas à éliminer le racisme que l’on verra se manifester de façon toujours plus cruelle et violente au cours du XX e siècle, à travers l’affaire Dreyfus par exemple. Nombre d’œuvres littéraires abordent aujourd’hui cet épineux problème et nous nous limiterons à l’étude de trois grands thèmes : d’abord, le génocide des juifs par les nazis lors de la seconde Guerre Mondiale, ensuite, l’apartheid en Afrique du Sud et pour finir, la ségrégation des noirs au Etats-Unis.


De l’esclavage des nègres

Dans son étude des effets du climat sur les mœurs et les lois, Montesquieu en vient à se demander si les lois de l’esclavage ont, selon ses propres termes, « du rapport avec la nature et le climat ». Après avoir examiné l’ origine du droit de l’esclavage, il en conclut que l’esclavage est « aussi opposé au droit civil qu’au droit naturel » (Livre XV, chapitre 2). Pourtant les raisons avancées pour justifier une pratique si contraire à la dignité de l’homme n’ont jamais manqué. En sont la preuve les arguments spécieux des esclavagistes que Montaigne reprend ironiquement à son compte pour mieux les dénoncer.

« Si j'avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais :

Les peuples d'Europe ayant exterminé ceux de l'Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l'Afrique, pour s'en servir à défricher tant de terres.

Le sucre serait trop cher, si l'on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves.

Ceux dont il s'agit sont noirs depuis les pieds jusqu'à la tête ; et ils ont le nez si écrasé, qu'il est presque impossible de les plaindre.

On ne peut se mettre dans l'esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir.

Il est si naturel de penser que c'est la couleur qui constitue l'essence de l'humanité, que les peuples d'Asie, qui font des eunuques, privent toujours les noirs du rapport qu'ils ont avec nous d'une manière plus marquée.

On peut juger de la couleur de la peau par celle des cheveux, qui chez les Égyptiens, les meilleurs philosophes du monde, était d'une si grande conséquence, qu'ils faisaient mourir tous les hommes roux qui leur tombaient entre les mains.

Une preuve que les nègres n'ont pas le sens commun, c'est qu'ils font plus de cas d'un collier de verre que de l'or, qui chez des nations policées, est d'une si grande conséquence.

Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes, parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens.

Des petits esprits exagèrent trop l'injustice que l'on fait aux Africains : car, si elle était telle qu'ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d'Europe, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d'en faire une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié ? »


Montesquieu, De l’esprit des lois, Livre XV, chapitre 5.

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