c) Les lois Jim Crow, la ségrégation réglementaire

Instaurées en 1876, les lois dites Jim Crow (« Jim le corbeau »), en référence à un personnage très populaire des spectacles de l’époque, qui représente un noir typique du Deep South (Sud des Etats-unis) créent un nouvel ordre social dans le sud des Etats-Unis : la ségrégation raciale. Si les textes indiquent que les citoyens doivent être « separate but equal » (« séparés mais égaux »), la réalité est tout autre. Les Noirs sont désavantagés et dominés dans tous les instants de leur vie.

Un blanc, John Howard Griffin, hanté par le problème de la ségrégation raciale, décide d’aller au fond du problème en devenant lui-même un Noir.  En 1959, ayant coupé les ponts avec sa famille et ses amis, il rencontre un docteur de La Nouvelle-Orléans qui, tant bien que mal, accepte de l’aider dans ce projet un peu fou. En absorbant un médicament utilisé habituellement contre certaines maladies de la peau, et en s’exposant à une lampe à rayons ultraviolets, le blanc entre dans la peau d’un noir. Du 7 novembre au 14 décembre, il sillonne le Mississippi, l’Alabama, La Nouvelle Orléans, empruntant tous les moyens de locomotions, dormant dans tous les taudis réservés aux gens de couleur, mangeant, vivant avec eux, comme eux, leur parlant d’égal à égal, puisqu’il est noir.

Carte des Etats-Unis

Black like me (Dans la peau d’un Noir) (1962), récit de son expérience, fait état de la réalité de la vie des Noirs à cette époque, aux Etats-unis. Griffin expérimente la ségrégation sous toutes ces formes. Les lieus publics sont séparés : dans les parcs, des bancs pour les Blancs et d’autres pour les Noirs (le 10 novembre, p.72), au cinéma, une salle pour les Blancs, une autre pour les Noirs (le 7 novembre, p.64). Et cela s’applique aussi aux églises, aux hôpitaux, aux restaurants, aux gares, aux wagons de trains, aux bus, aux écoles. Les Noirs ne peuvent s’inscrire que dans des écoles qui leur sont réservées, précaires, où toutes les classes se retrouvent dans une même salle, pour étudier sur d’anciens livres de cours, dirigées par un seul professeur. Rares sont ceux qui accèdent à l’université. Lorsqu’il cherche du travail, Griffin se heurte à nouveau à la difficulté que lui impose sa couleur. Le chef de l’usine à laquelle il propose sa candidature lui répond simplement qu’il « ne veut pas de gens de son espèce », et que le seul travail qu’il pourra obtenir ici, c’est « celui dont aucun homme blanc ne voudra » (le 24 novembre, p.160). Un constat pénible, mais bien réel s’impose à lui : un Blanc qui a fait des études se créera à coup sûre une belle situation, tandis qu’un Noir, même brillant et instruit, ne trouvera pas d’emploi, ou très difficilement.

Un Noir boit à un distributeur d'eau réservé aux « gens de couleur » à un terminal de tramway en 1939, à Oklahoma City.

Ségrégation raciale à l'école

Loin de s’arrêter là, la discrimination touche aussi les transports en communs. En utilisant les bus, Griffin l’éprouve à nouveau, dans toute sa cruauté  et sa violence. Alors qu’il souhaite descendre du bus, Griffin sonne pour demander l’arrêt. Le conducteur arrête l’autobus, ouvre la porte et, lorsque Griffin atteint la sortie, lui claque la porte au nez. Il joue au jeu cruel du « chat et de la souris » (p.74) avec le Noir, et refuse de le laisser sortir, sous prétexte qu’il est en retard. Il brûle les arrêts suivants, et ne daigne s’arrêter que pour laisser descendre des blancs (le 10-12 novembre, p.73). À propos d’un Noir, le chauffeur ira  même jusqu’à affirmer qu’il le considère comme appartenant à « une espèce humaine différente ». Il le regarde comme une sorte d’hybride animal, et de ce fait, ne se croit pas tenu de lui témoigner le respect.

Les Noirs sont écartés de la vie politique. Dans la peau d’un Noir (1962) illustre cette volonté de les empêcher de remplir leurs devoirs de citoyens. Un Noir souhaite s’inscrire au bureau de vote. Comme de coutume, l’homme blanc qui enregistre les inscriptions lui fait passer un test de culture générale, et lui pose diverses questions, toutes plus difficiles les unes que les autres. Le candidat y répond parfaitement. On lui propose alors de lire un journal rédigé en chinois, ce qui, bien évidemment, est hors de sa portée. En guise de traduction, il déclare alors : « Voici un homme du Mississippi qui n’aura pas le droit de voter cette année » (le 16 novembre, p.124).

Le Noir subit tellement la discrimination qu’il en vient à se dégoûter de soi-même, et de sa propre couleur de peau, responsable de tous ses problèmes. Il subit « d’abord la discrimination que les autres lui font subir. Ensuite celle, encore plus pénible, qu’il s’inflige  lui-même ; le mépris qu’il a pour cette noirceur associée à ses tourments ». L’évolution de John Howard Griffin le conduit, après bien des révoltes, à s’identifier à la condition de Noir. Lorsqu’il reprend son identité, c’est le même chemin qu’il faut parcourir à rebours. Il s’arrache avec peine à son personnage de Noir. Ce n’est pas un hasard si ces concitoyens de Mansfield ne le considèrent plus ni comme un blanc, ni comme un Noir. Il n’appartient plus à aucun camp. Mais n’est-ce pas pour cela que les opprimés, eux, le considèrent comme l’un des leurs ?

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