b) La ségrégation et le racisme sont vécus au quotidien…

Une saison Blanche et sèche d’André Brink, roman interdit dès sa publication en Afrique du Sud en 1980, relate la vie quotidienne sous l’apartheid, dans toute sa difficulté et sa violence. Lorsque Jonathan Ngubene, arrêté pendant les émeutes de Soweto (1), meurt en prison, son père, Gordon se lance dans une enquête, à la recherche de la vérité sur sa disparition. Devenu gênant, il est arrêté puis trouvé mort lui aussi, officiellement suicidé dans sa cellule. Dès lors, Ben Dutoit, ami de Gordon et professeur respecté, consacrera sa vie à faire la lumière sur les atrocités commises par le gouvernement, s’opposant tant au système qu’à sa famille et sa « race », puisqu’il est blanc et aide les noirs.

Sous l’apartheid, la ségrégation est progressivement institutionnalisée dans tous les domaines ; des lois racistes interdisent les mariages « interraciaux », organisent le partage des terres en faveur des blancs, créent des zones d’habitation séparées, imposent le port d’un pass book (laissez-passer) par les Noirs et organisent une ségrégation dans tous les lieux officiels ou publics, tels que les lieux d’enseignements, les hôpitaux, les administrations, les hôtels, les restaurants, les cinémas, les parcs, les plages, etc. Le roman d’André Brink multiplie les illustrations de cette discrimination installée au quotidien, notamment quant aux lois d’immoralité, ou Immorality Act, qui interdisent les mariages et les relations sexuelles entre personnes classées dans des « races » différentes. Le scandale provoqué par la publication d’une photo de Ben Dutoit réconfortant Emily, la veuve noire de Gordon en est l’exemple, au chapitre 6 de la deuxième partie. La parution de cette photographie, catastrophe à l’ampleur démesurée, indigne les amis et collègues de Ben, et déshonore sa famille, qui lui tourne le dos.

La fraternité entre Blancs et Noirs apparaît comme utopique sous l’apartheid, tant le fossé qui les sépare est grand, dans les lois et les mœurs. Lorsque Stanley, noir du ghetto de Soweto, qui a lié avec Ben Dutoit les liens d’une amitié inconcevable, évoque ce jour où tous seront unis et égaux, c’est en y rêvant, comme on songe à quelque chose d’inaccessible, d’impensable et d’un peu fou : « Nous serons de nouveau ensemble. (…) Nous sortirons en plein jour, vieux. Nous marcherons dans les rues, gauche, droite, ensemble. Bras dessus, bras dessous. Je te le dis. Jusqu’à l’autre bout du monde, lanie (2). Personne pour nous arrêter. Réfléchis-y. » (quatrième partie, chapitre 2)

Parce qu’il traite Gordon Ngubene, ce noir méprisable, comme un homme et parce qu’historien, il est attaché à la vérité, Ben Dutoit s’embarque dans une épopée désespérée, qui peu à peu le met au ban des siens - famille, collègues, communauté - jusqu’à en mourir. Pour s’être levé dans cette communauté sûre de ses valeurs, de son bon droit et de sa supériorité morale et raciale, il est tour à tour dissuadé, persécuté, subtilement puis violemment, traqué jusqu’à l’étouffement, pourchassé, condamné et exécuté, rejoignant le cortège des Noirs massacrés publiquement à Sharpeville et Soweto (3) ou secrètement dans les cachots de la police.

Panneaux bilingues (anglais / afrikaans) formalisant la ségrégation raciale au profit de la population blanche dans le cadre de la politique d'apartheid

(1) Abréviation de South Western Township. Soweto est une agglomération d’environ 2 millions d’habitants, située au sud de Johannesburg. C’est un véritable monde à part, une ville-dortoir pour la main d’œuvre de Johannesburg, un énorme conglomérat de logements économiques pour les Noirs, avec des temples, des bars, des magasins et quelques quartiers chics pour la bourgeoisie noire.

(2) Homme blanc

(3) A Sharpeville en 1960, et à Soweto en 1976 ont eu lieu des manifestations au cours desquelles la police a ouvert le feu sur la foule.

2 commentaires:

Unknown a dit…

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Unknown a dit…

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