Nouveau site pour le TPE

Bonjour, pour plus de confort de navigation et de lecture, nous avons décidé de créer un site internet spécialement pour le TPE, voici l'adresse :
http://membres.lycos.fr/tperacisme/
Bonne lecture.

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SOMMAIRE

 Introduction

I  Le racisme, phénomène inscrit dans les mœurs et la littérature

1) Le génocide des juifs ou l’apogée d’une politique raciste

a) Le nazisme, addition d’un racisme historique et « scientifique »

b) Mein Kampf (1925), ou le racisme couché sur papier

  c) Être juif, un combat quotidien

  d) Mesures de mort et « solution finale »

2) L’apartheid, ou quand les lois se font racistes

a) Origine et instauration

  b) La ségrégation et le racisme sont vécus au quotidien…

  c) … autant que l’injustice, la violence, la torture et le meurtre

  d) Révoltes, émeutes et fin de l’apartheid

3) La ségrégation raciale au Etats-Unis

  a) Situation générale

  b) Le Ku Klux Klan, l’oppression illégale et clandestine

  c) Les lois Jim Crow, la ségrégation réglementaire

  d) La lutte pour l’égalité

II  Un démenti du racisme par la science

1) Classer les êtres humains…

  a) …un problème de tout temps

  b) … sans solution scientifiquement valable

2) Tous les hommes ont une origine unique…

3)… qui donne lieu à une grande diversité

a) Les migrations et le métissage ont influencé notre patrimoine génétique…

  b) … tout comme notre environnement influence nos caractères physiques

Conclusion

Introduction


Ile de la Réunion, côte ouest, Lycée Saint Exupéry des Avirons, nous sommes dans la cour. Regardons ceux qui nous entourent. Des sourires tous différents, des regards bleus, verts gris, marrons, des bras clairs rosis par le soleil, d’autres couleur café, d’autres plus foncés encore, des silhouettes élancées, cambrées, trapues ou dodues, des voix graves, sourdes, fortes ou aigues, des phrases jetées, en créole ou française. La Réunion, terre de contraste et de métissage. Créoles, Malbars (Indiens), Musulmans, Comoriens, Chinois, Cafres (Noirs), Z'oreils (Métropolitains), Malgaches, autant de dénominations pour des populations qui viennent des quatre coins d’Asie, Afrique ou d’Europe. La Réunion n’a-t-elle pas tous les atouts pour être une école de la tolérance ? Côtoyer tous les jours autant de différences, n’est-ce pas là le gage d’une éducation au respect, à l’ouverture d’esprit, à la curiosité, à la bienveillance ? On ne naît pas raciste, on le devient. Et c’est lorsque l’éducation fait défaut, que le doute, les préjugés et les peurs se découvrent. Qu’est ce que le racisme ? Tahar Ben Jelloun l’explique avec des mots simples, dans Le Racisme expliqué à ma fille (1998) : « Un comportement assez répandu, commun à toutes les sociétés, devenu, hélas !, banal dans certains pays parce qu’il arrive qu’on ne s’en rende pas compte. Il consiste à se méfier, et même à mépriser, des personnes ayant des caractéristiques physiques et culturelles différentes des nôtres. (…) La différence, c’est le contraire de la ressemblance, de ce qui est identique. » Pour autant, un homme égal un homme ; il n’y a qu’une seule espèce humaine, un genre humain ; il y a des hommes et des femmes, de couleurs, de tailles, de culture et d’aptitudes différentes. Un cocktail de langues, de couleurs, de coutumes, de religions… et de « races » ? Peut-on parler de races lorsqu’on parle de diversité humaine ? Depuis que l’homme existe, et sous des formes différentes, souvent violentes, il a trahi sa peur de l’autre ; pour justifier ses attitudes, il a même tenté de faire appel à la science. Mais la science n’a jamais justifié le racisme.

 

I Le racisme, phénomène inscrit dans les moeurs et la littérature

 

Dès l’Antiquité, les classes sociales, qui définissaient les individus comme libres ou esclaves, reflètent les inégalités entre les hommes ; les Romains par exemple réduisaient à la condition d’esclave les étrangers constitués prisonniers de guerre. Par la suite, au Moyen Age, on assiste à la persécution des juifs, condamnés parce qu’ils constituaient une « race » à part, et ne respectaient pas les règles de la religion chrétienne ; périodiquement expulsés par les pays européens, les juifs voient leurs biens confisqués, et subissent nombre de déshonneurs et supplices. De même, à partir du XVe siècle, lors de l’exploration du continent américain, les Européens découvrent avec stupeur des êtres si différents d’eux qu’ils se posent la question de savoir si ces sauvages d’Amérique sont des hommes. En effet, ces derniers vivent nus, au milieu de la nature, et ne connaissent aucun des usages et des règles de la société européenne. Certains écrivains tels que Jean-jacques Rousseau s’enthousiasment devant tant de naturel et alimentent ainsi le mythe du bon sauvage, qui répand l’image d’hommes profondément bons, en harmonie avec la nature. Comme les autres philosophes des Lumières, Rousseau appartient à une génération qui dénonce les inégalités entre les hommes et pose les premiers jalons des droits de l’homme. Cette prise de conscience apparaît nettement dans De l’esprit des lois (1748) de Montesquieu, où il parodie un plaidoyer en faveur de l’esclavage. Ces considérations ne suffiront pas à éliminer le racisme que l’on verra se manifester de façon toujours plus cruelle et violente au cours du XX e siècle, à travers l’affaire Dreyfus par exemple. Nombre d’œuvres littéraires abordent aujourd’hui cet épineux problème et nous nous limiterons à l’étude de trois grands thèmes : d’abord, le génocide des juifs par les nazis lors de la seconde Guerre Mondiale, ensuite, l’apartheid en Afrique du Sud et pour finir, la ségrégation des noirs au Etats-Unis.


De l’esclavage des nègres

Dans son étude des effets du climat sur les mœurs et les lois, Montesquieu en vient à se demander si les lois de l’esclavage ont, selon ses propres termes, « du rapport avec la nature et le climat ». Après avoir examiné l’ origine du droit de l’esclavage, il en conclut que l’esclavage est « aussi opposé au droit civil qu’au droit naturel » (Livre XV, chapitre 2). Pourtant les raisons avancées pour justifier une pratique si contraire à la dignité de l’homme n’ont jamais manqué. En sont la preuve les arguments spécieux des esclavagistes que Montaigne reprend ironiquement à son compte pour mieux les dénoncer.

« Si j'avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais :

Les peuples d'Europe ayant exterminé ceux de l'Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l'Afrique, pour s'en servir à défricher tant de terres.

Le sucre serait trop cher, si l'on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves.

Ceux dont il s'agit sont noirs depuis les pieds jusqu'à la tête ; et ils ont le nez si écrasé, qu'il est presque impossible de les plaindre.

On ne peut se mettre dans l'esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir.

Il est si naturel de penser que c'est la couleur qui constitue l'essence de l'humanité, que les peuples d'Asie, qui font des eunuques, privent toujours les noirs du rapport qu'ils ont avec nous d'une manière plus marquée.

On peut juger de la couleur de la peau par celle des cheveux, qui chez les Égyptiens, les meilleurs philosophes du monde, était d'une si grande conséquence, qu'ils faisaient mourir tous les hommes roux qui leur tombaient entre les mains.

Une preuve que les nègres n'ont pas le sens commun, c'est qu'ils font plus de cas d'un collier de verre que de l'or, qui chez des nations policées, est d'une si grande conséquence.

Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes, parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens.

Des petits esprits exagèrent trop l'injustice que l'on fait aux Africains : car, si elle était telle qu'ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d'Europe, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d'en faire une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié ? »


Montesquieu, De l’esprit des lois, Livre XV, chapitre 5.

1) Le génocide des juifs ou l'apogée d'une politique raciste


a) Le nazisme, addition d’un racisme historique et « scientifique »

 

La haine des juifs, ou l’antisémitisme, n’est pas l’invention d’un seul homme ou d’un seul peuple, comme on pourrait le croire, mais bien le fruit d’un conflit religieux entre chrétiens et juifs. Accusés de crimes contre les chrétiens, les juifs furent, dès  le Moyen Age, montrés du doigt, rendus responsables des épidémies, persécutés et expulsés. Plus tard, au XIXe siècle, la tristement célèbre affaire Dreyfus dénote l’ampleur de l'antisémitisme en France. Un capitaine de l'armée française, Alfred Dreyfus, est accusé d'espionnage ; bien qu’en réalité innocent, Dreyfus est juif et de ce fait, rendu coupable. L'armée refusera pendant des années de reconnaître son innocence, allant jusqu'à faire relâcher le véritable coupable et jusqu'à fabriquer de fausses preuves contre l’accusé, qui sera finalement innocenté au début du XXe siècle.

Pour façonner sa politique et ses idées racistes, Adolf Hitler (1), chef du parti nazi en Allemagne depuis 1921, va s’appuyer sur cet antisémitisme inscrit dans l’Histoire et les mœurs. Il y ajoute des théories fumeuses, présentées comme scientifiques, qui prouveraient la supériorité de la « race aryenne » sur la « race juive », plaçant le peuple allemand au dessus de tout. Il s'appuie sur les écrits racistes du Comte de Gobineau, auteur français du XIXe siècle pour justifier sa pensée raciste : de fait, celui-ci distinguait trois races humaines - noire, jaune et blanche – inégales et déséquilibrées, et assurait dans son Essai sur l’inégalité des races humaines (1853-1855) que « toute civilisation découle de la race blanche ».


Comte de Gobineau, Essai sur l'inégalité des races humaines (1853-1855)


(1) Biographie d’Adolf Hitler (commentaire)

b) Mein Kampf (1925), ou le racisme couché sur papier

Après un coup d’état manqué à Munich en 1923, Adolf Hitler est envoyé en détention à la prison de Landsberg-am-Lech ; pendant ses neuf mois d’incarcération, il rédigera Mein Kampf, ouvrage tant autobiographique que politique, qui présente l’idéologie nazie, ses théories raciales, ainsi que sa volonté d'établir une domination germanique en Europe. Son premier opus, paru en 1925, ne connaît qu’un succès modeste ; un second, paru un an plus tard, n’en rencontre guère plus. Jusqu’en 1929, seuls 23 000 exemplaires du premier volume et 13 000 du second sont vendus. Cependant, après 1930, et le tirage augmente fortement : jusqu'en 1945, il s'en vend 10 millions d'exemplaires, auxquels s'ajoutent les traductions en seize langues étrangères. Mein Kampf deviendra même, à partir de 1936, le cadeau de mariage qu’offre l'État aux couples allemands.

Adolf Hitler, Mein Kampf (1925)

Dans son ouvrage, Hitler développe sa vision du racisme, inspirée une fois de plus de l’œuvre de Gobineau : d'après lui, les peuples supposés inférieurs ne peuvent espérer survivre qu'en se métissant avec les peuples désignés comme supérieurs ; ce métissage qu’il réprouve s’est selon lui déjà amorcé en Europe, y compris en Allemagne, et il faut y remédier. Hitler poursuit l’idéal d’une « race pure », la race indo-européenne ou aryenne, à laquelle se rattachaient des caractéristiques physiques : on prétendait que les aryens descendaient des populations nordiques, aussi se popularisa l’image d’un aryen blond aux yeux bleus. L'existence d'une telle « race », s'oppose au simple bon sens. En effet, pour appliquer de façon cohérente la législation nazie, il fallait, fidèlement au concept de « races », séparer ceux qui avaient des cheveux blonds, des yeux bleus et un nez droit, de ceux qui avaient des cheveux bruns, des nez busqués, des yeux bruns, etc. Or beaucoup de non juifs, voire des membres du parti, appartenaient à ce second groupe. Les lois hitlériennes stipulèrent donc que l'on se fonderait sur la religion des grands parents et non sur des critères physiques pour déterminer l'appartenance à une « race ». On décida que ceux qui avaient des grands-parents chrétiens étaient réputés de « race » aryenne ; quant à ceux dont trois des quatre grands-parents étaient juifs, ils furent réputés de « race » juive et traités en conséquence.

 Poursuivant son idéal d’une Allemagne purifiée, Hitler souhaitait éliminer toute forme de judaïsme ; dans Mein Kampf, le juif est sans cesse ramené au statut de « parasite », dont il est impératif de se débarrasser. Selon lui, « Le Juif reste à l’endroit où il s’est établi et s’y cramponne, à tel point qu’on ne peut l’en chasser que très difficilement, même en employant la violence. Il est et demeure le parasite type, l’écornifleur qui, tel un bacille nuisible, s’étend toujours plus loin dès qu’un sol nourricier favorable l’y invite(…)  L’effet produit par sa présence est celui des plantes parasites : là où il se fixe, le peuple qui l’accueille s’éteint ». 

« Notre salut est :  heil hitler » ; « Les juifs sont indésirables ici »

Plaques émaillées affichant les opinions nazies du propriétaire



c) Être juif, un combat quotidien

            En Janvier 1933, Hitler arrive au pouvoir. Dès lors, le nouveau chancelier va s’employer à appliquer les principes du livre qu’il a rédigé en prison en 1923, Mein Kampf. Un régime de terreur s’installe. Les Juifs sont mis au ban de la société ; dépouillés de leurs droits et de leurs biens, ils sont isolés du reste de la population, puis déportés dans des camps de concentration, où ils sont condamnés au travail forcé, délibérément sous-alimentés et maltraités.

Anne Frank a tenu son journal entre le 12 juin 1942 et le 1er août 1944. Elle couche sur papier sa vie de tous les jours, comme l’ont fait tant d’autres adolescentes avant elle ; seulement, Anne est juive, c’est la guerre, et elle se cache. Elle et sa famille ont fui l’Allemagne, la ségrégation, la difficulté d’être juif dans un pays nazi, et émigré aux Pays Bas, terre d’asile, à l’abri de la menace nazie. Mais la guerre éclate, les Pays Bas sont envahis, et capitulent aussitôt. Se succèdent bientôt des mesures, au départ anodines, puis de plus en plus rigoureuses, contre les Juifs. Plus de doute, il faut se cacher. Dans l’immeuble qui abritait les bureaux d’Otto Frank, le père d’Anne, ils aménagent l’Annexe, cachette qui les accueillera bientôt, avec une autre famille. Dans son Journal, Anne décrit l’Annexe comme « une cachette idéale » et, « bien qu’elle soit humide et biscornue, il n’y en a probablement pas de mieux aménagée ni de plus confortable dans tout Amsterdam, voire dans toute la Hollande». En effet, dans la plupart des cas, les clandestins se cachent dans des endroits exigus, des sous-sols confinés ou des greniers poussiéreux. Plusieurs personnes sont au courant de la vie clandestine des Frank ; ces « protecteurs » permettent aux habitants de l’Annexe de vivre presque confortablement en leur fournissant des vivres et des vêtements, mais aussi en leur apportant des nouvelles du dehors, des livres, des revues, et surtout un grand soutien moral. Grâce à eux, la famille vécût recluse dans l’Annexe pendant plus de deux ans, dans la peur omniprésente d’être découverte, obligée de chuchoter, et parfois condamnée de longs moments au silence et à l’immobilité. Mais dans les villes, le risque de dénonciation est grand ; aussi le vendredi 4 août 1944, une voiture s’arrête devant la maison. Des policiers du Sicherheitsdienst, service de renseignement et d’espionnage du parti nazi, en descendent et se précipitent dans l’immeuble. Ils se dirigent droit vers la porte camouflée de l’Annexe, et exigent qu’on l’ouvre. Les clandestins ont été dénoncés.

Anne Franck (1929-1945)

Étoile jaune que tous les juifs devaient porter pendant l'occupation des nazis.

L'immeuble à appartements sur le Merwedeplein Anne Frank vécut de 1934 à 1942, dans l’Annexe.

Ils furent déportés au camp de travail de Westerbork, qui inspirait déjà une peur bleue à Anne alors qu’elle était cachée, lorsqu’elle entendait les récits de ceux qui s’en était échappé : « Westerbrok doit être épouvantable. On ne donne presque rien à manger aux gens, et encore moins à boire, car ils n’ont de l’eau qu’une heure par jour et un W.C. et un lavabo pour plusieurs milliers de personnes. Ils dorment tous ensemble, hommes, femmes et enfants ; les femmes et les enfants ont souvent la tête rasée. Il est presque impossible de fuir, les gens du camp sont tous marqué par leur têtes rasées et pour beaucoup aussi par leur physique juif ». Les déportés furent ensuite transférés à Auschwitz, puis Anne et sa sœur à Bergen-Belsen où elles moururent du typhus en mars 1945. Otto Frank, resté à Auschwitz, fut libéré par les Russes en janvier 1945 et, de retour à Amsterdam, parvint à faire publier le Journal, dont les manuscrits avaient été précieusement conservés par une de leur « protectrice ».

Ce témoignage parfois drôle, parfois déchirant, d’une enfant bouillonnante de vie et pleine de talent, obligée de se dissimuler avec sa famille pour échapper à la déportation, est devenu un symbole des victimes de la barbarie nazie.


d) Mesures de mort et « solution finale »

           

Le 20 janvier 1942, la « solution finale » de la question juive en Europe est décidée à la conférence de Wannsee. Bien que les tueurs des Einsatzgruppen, « groupes d'intervention» dévoués à Hitler, aient éliminé à la mitrailleuse plus d’un million de Juifs, cette méthode n’est pas jugée suffisamment efficace, car elle est trop lente, trop désordonnée, et d'un coût trop élevé en munitions. Le choix de l'extermination est pris. Sont alors envisagés les moyens techniques les plus efficaces pour la mise à mort de victimes par millions. Pour ce faire, les camps d’extermination sont créés ; ces « camps de la mort », dans la suite logique des camps de concentration, sont des installations dont l’unique but est de tuer industriellement, sans aucune espèce de jugement, les gens qui y sont amenés. Pour être déportées, les victimes sont entassées dans des wagons à bestiaux, où elles ne peuvent se tenir que debout, sans nourriture, ni eau, ni chauffage en hiver, ni aménagements de toilettes. Beaucoup meurent avant d'arriver à destination. Ceux qui y parviennent subissent ensuite la sélection, au cours de laquelle sont choisis ceux qui sont destinés à la mise à mort immédiate et ceux qui seront envoyés au travail dans le camp de concentration voisin. Les enfants, les femmes qui les accompagnaient et les vieillards sont dirigés, sauf exception, vers la chambre à gaz. Ils sont fouillés, dépouillés et privés de tout papier d’identité. Chaque individu est ainsi réduit à un numéro, matricule tatoué sur son avant-bras gauche. Ils sont ensuite tondus et déshabillés, leur chevelure servant à bourrer les matelas ; la plupart étaient conduits nus dans les chambres à gaz.

Dow Paisikovic - matricule A-3.076 -, survivant d' Auschwitz, témoigne :

« Ceux qui étaient capables de marcher étaient amenés au crématoire à pied, les autres étaient chargés sur des camions. (…) Ils étaient ensuite conduits à la chambre à gaz, certains priaient car ils savaient ce qui les attendait. Le gaz était jeté, on entendait leurs cris de très loin. Parfois les chambres à gaz étaient trop pleines, on jetait les enfants qui ne pouvaient plus y entrer par-dessus la tête de ceux qui s'y trouvaient déjà. Le gazage durait en principe 3 à 4 minutes. Après quoi, pendant un quart d'heure, le système de ventilation était mis en marche. Puis la porte était ouverte et nous devions traîner les cadavres vers le monte-charge. Quelques-uns de ceux qui étaient à même le sol étaient encore en vie. Les corps étaient déchiquetés. »

Dans les camps d'extermination de Belzec, Sobibor, Treblinka puis à Auschwitz Birkenau, plus de 4 millions de Juifs seront gazés, et leurs corps brûlés dans des fours crématoires. Près des trois cinquièmes des Juifs d'Europe sont exterminés.


Carte des camps de concentration et d’extermination

Porte de l'une des chambres à gaz d'Auschwitz-Birkenau. L'oeilleton sert à observer le déroulement des opérations.

Le massacre des juifs, orchestré par le parti nazi lors de la Seconde Guerre Mondiale, marque un point culminant de l’idéologie raciste, qui a conduit ici à l’extermination d’un peuple entier et à une guerre au bilan effroyable ; cependant, les idées racistes, poussées à bout, ne mènent pas toujours à la guerre ouverte, mais peuvent aboutir à des situations d’extrême violence au sein d’un même territoire, comme en Afrique du Sud, pendant l’apartheid, entre 1948 et 1992.

2) L'apartheid, ou quand les lois se font racistes

a) Origine et instauration

L’apartheid, mot afrikaans signifiant « séparation», désigne le principe selon lequel s'est ordonné l'ordre social dans l'État sud-africain de 1948 à 1992. Conceptualisé et mis en place par le Parti National, ce système, issu de la colonisation britannique, installe une politique de développement séparé, affectant des populations dans des zones géographiques déterminées selon des critères raciaux ou ethniques. Les groupes raciaux décidés sont : les Noirs, les Coloureds, les Indiens et les Blancs, auxquels l’Apartheid donne toute suprématie.

Cette politique profondément raciste trouve sa prétendue justification biblique dans la Genèse, au chapitre 9. On raconte qu’un jour, Noé s’enivra et s’endormit nu. Son fils Cham le découvrit mais n’eut pas le soin de le couvrir, ce que firent les deux autres fils, Sem et Japhet. A son réveil, apprenant la négligence de son plus jeune fils, Noé proféra une malédiction sur le fils de ce dernier, Canaan, voué pour l’éternité à être le serviteur des autres : « Maudit soit Canaan, domestique des domestiques il sera envers ses frères ». Affirmant que Cham est l’ancêtre des Noirs, nombreux sont ceux qui ont justifié par là la supériorité des Blancs sur les Noirs, et les idées racistes appliquées par exemple dans le système de l’apartheid. 

b) La ségrégation et le racisme sont vécus au quotidien…

Une saison Blanche et sèche d’André Brink, roman interdit dès sa publication en Afrique du Sud en 1980, relate la vie quotidienne sous l’apartheid, dans toute sa difficulté et sa violence. Lorsque Jonathan Ngubene, arrêté pendant les émeutes de Soweto (1), meurt en prison, son père, Gordon se lance dans une enquête, à la recherche de la vérité sur sa disparition. Devenu gênant, il est arrêté puis trouvé mort lui aussi, officiellement suicidé dans sa cellule. Dès lors, Ben Dutoit, ami de Gordon et professeur respecté, consacrera sa vie à faire la lumière sur les atrocités commises par le gouvernement, s’opposant tant au système qu’à sa famille et sa « race », puisqu’il est blanc et aide les noirs.

Sous l’apartheid, la ségrégation est progressivement institutionnalisée dans tous les domaines ; des lois racistes interdisent les mariages « interraciaux », organisent le partage des terres en faveur des blancs, créent des zones d’habitation séparées, imposent le port d’un pass book (laissez-passer) par les Noirs et organisent une ségrégation dans tous les lieux officiels ou publics, tels que les lieux d’enseignements, les hôpitaux, les administrations, les hôtels, les restaurants, les cinémas, les parcs, les plages, etc. Le roman d’André Brink multiplie les illustrations de cette discrimination installée au quotidien, notamment quant aux lois d’immoralité, ou Immorality Act, qui interdisent les mariages et les relations sexuelles entre personnes classées dans des « races » différentes. Le scandale provoqué par la publication d’une photo de Ben Dutoit réconfortant Emily, la veuve noire de Gordon en est l’exemple, au chapitre 6 de la deuxième partie. La parution de cette photographie, catastrophe à l’ampleur démesurée, indigne les amis et collègues de Ben, et déshonore sa famille, qui lui tourne le dos.

La fraternité entre Blancs et Noirs apparaît comme utopique sous l’apartheid, tant le fossé qui les sépare est grand, dans les lois et les mœurs. Lorsque Stanley, noir du ghetto de Soweto, qui a lié avec Ben Dutoit les liens d’une amitié inconcevable, évoque ce jour où tous seront unis et égaux, c’est en y rêvant, comme on songe à quelque chose d’inaccessible, d’impensable et d’un peu fou : « Nous serons de nouveau ensemble. (…) Nous sortirons en plein jour, vieux. Nous marcherons dans les rues, gauche, droite, ensemble. Bras dessus, bras dessous. Je te le dis. Jusqu’à l’autre bout du monde, lanie (2). Personne pour nous arrêter. Réfléchis-y. » (quatrième partie, chapitre 2)

Parce qu’il traite Gordon Ngubene, ce noir méprisable, comme un homme et parce qu’historien, il est attaché à la vérité, Ben Dutoit s’embarque dans une épopée désespérée, qui peu à peu le met au ban des siens - famille, collègues, communauté - jusqu’à en mourir. Pour s’être levé dans cette communauté sûre de ses valeurs, de son bon droit et de sa supériorité morale et raciale, il est tour à tour dissuadé, persécuté, subtilement puis violemment, traqué jusqu’à l’étouffement, pourchassé, condamné et exécuté, rejoignant le cortège des Noirs massacrés publiquement à Sharpeville et Soweto (3) ou secrètement dans les cachots de la police.

Panneaux bilingues (anglais / afrikaans) formalisant la ségrégation raciale au profit de la population blanche dans le cadre de la politique d'apartheid

(1) Abréviation de South Western Township. Soweto est une agglomération d’environ 2 millions d’habitants, située au sud de Johannesburg. C’est un véritable monde à part, une ville-dortoir pour la main d’œuvre de Johannesburg, un énorme conglomérat de logements économiques pour les Noirs, avec des temples, des bars, des magasins et quelques quartiers chics pour la bourgeoisie noire.

(2) Homme blanc

(3) A Sharpeville en 1960, et à Soweto en 1976 ont eu lieu des manifestations au cours desquelles la police a ouvert le feu sur la foule.

c)… autant que l’injustice, la violence, la torture et le meurtre

Dans Une saison blanche et sèche, André Brink dénonce un pouvoir blanc incarné par un système juridico-policier terrifiant : la police est omniprésente, sans scrupules, justifiant son action par la lutte contre le terrorisme et persuadée, comme tout régime totalitaire, de son bon droit et de sa nécessaire puissance. Le système judiciaire est, quant à lui, complice des abus de la police et des clichés de la propagande, niant des preuves évidentes, faisant obstruction et perdant, enfin, toute notion de justice équitable, comme l’illustre l’enquête sur la mort de Gordon, qui réunit toutes les preuves nécessaires à condamner ses bourreaux, et se révèle pourtant vaine lors du procès, faussée et démentie par les justifications fumeuses des policiers (deuxième partie, chapitre 4). Le système exerce une véritable terreur sur la communauté noire qui en fait les frais au quotidien, victime d’arrestations abusives, de violence gratuite et d’injustices notoires du fait de sa vulnérabilité et de son infériorité. Le roman d’André Brink figure ces abus notamment par les témoignages des femmes de Soweto, au chapitre 1 de la deuxième partie, dont les « maris » et les « fils » ont été « tués », « lardés de coups de couteau », « écrasés sous un train », qui vivent dans un danger omniprésent et affirme que « La mort, elle est toujours avec nous ».

d) Révoltes, émeutes et fin de l’apartheid

Le système de l’apartheid engendre tensions et révolte, chez les Noirs opprimés bien entendu, mais aussi chez certains Blancs libéraux, notamment à travers l’ANC (African National Congress), le plus ancien parti d’opposition en Afrique du Sud. Les cris de mécontentement s’accumulent, sous le poids de l’injustice et de l’oppression.

Au niveau international, le système de l’apartheid, bien qu’en contradiction totale avec les principes des Nations Unies, a pu jouir d’une grande complaisance des États occidentaux jusqu’aux sanglantes émeutes de Soweto en 1976. Des manifestations pacifiques d'adolescents noirs, qui protestent contre un décret imposant l’afrikaans, langue de l’oppresseur blanc, comme nouvelle langue d’enseignement dans toutes les écoles noires, dégénèrent lorsque la police ouvre le feu ; ces mêmes émeutes sont évoquées dans le roman d’André Brink comme point de départ de l’intrigue, avec la mort de Jonathan Ngubene. Leur écho international forcera enfin l’Europe et les États-Unis au boycott économique de l’Afrique du Sud, cessant toute livraison d’armes.

Soweto (1) a marqué le coup d’envoi du mouvement irrépressible de désintégration de l’apartheid, porté par le mécontentement populaire. Mais il faudra tout de même attendre 1994 pour que Nelson Mandela (2), libéré à la suite de vingt-sept années de prison pour complot contre le gouvernement, remporte avec l’ANC les premières élections multiraciales et devienne le premier président noir d’Afrique du Sud, faisant complètement disparaître le système de domination politique d’une minorité blanche sur la population majoritaire noire.

Émeutes à Soweto en 1976


(1) A Sharpeville en 1960, et à Soweto en 1976 ont eu lieu des manifestations au cours desquelles la police a ouvert le feu sur la foule.

(2) Biographie de Nelson Mandela (commentaire)